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Hamadi Redissi, islamologue : « La réforme de l’islam n’intéresse que ceux qui veulent se réformer eux-mêmes »

Hamadi Redissi est professeur émérite de sciences politiques à l’université de Tunis et titulaire de la chaire d’islamologie pratique de l’Institut de promotion des formations sur l’islam à l’Université libre de Bruxelles (pour le premier semestre 2024). Il vient de publier S’exprimer librement en islam (Seuil, 2023, 224 pages, 21,50 euros).
Le montage théorique autour du blasphème démarre au XIIe siècle : quiconque insulte Dieu ou les prophètes, les livres sacrés ou les anges encoure la peine capitale, à moins qu’il ne se repente. Certains jurisconsultes considèrent toutefois que le repentir est sans effet s’agissant de l’injure au Prophète. Cette doctrine survit dans les temps modernes et se voit inscrite, au XXe siècle, dans les dispositifs juridiques des pays musulmans.
Une critique existe. Elle s’incarne à travers une tradition rationaliste née au Moyen Age et qui se prolonge jusqu’à nos jours, défendant l’idée que l’adhésion à l’islam est fondée sur le libre arbitre. En outre, dès le VIIIe siècle s’est développé un courant appelé la zandaqa, qui rassemble des libres-penseurs développant une pensée irrévérencieuse. Cette dernière a été pourchassée : on accusait ces théologiens et lettrés non conformistes d’être extérieurement musulmans, et intérieurement autre chose, sans qu’on sache précisément ce qui leur était reproché (l’impiété, le scepticisme, l’athéisme, l’abjuration, le libertinage…). L’autorité politique de l’époque va donc fouiller dans les consciences pour persécuter ceux qui s’éloignent de l’orthodoxie.
A l’heure actuelle, les penseurs critiques de l’islam sont marginalisés, et il est difficile, dans le champ musulman, de pouvoir exprimer un point de vue dissident ou minoritaire sans avoir à afficher une islamité de façade. Cela concerne de nombreux domaines : pas seulement l’expression de la critique religieuse, mais aussi le politique, avec des régimes autoritaires difficiles à critiquer explicitement, la vie sociale, les convictions idéologiques, la liberté de conscience, les droits des femmes ou ceux des minorités… Il faut louvoyer, manier l’ellipse et la métaphore.
S’il existe des critiques radicales de la religion, elles relèvent des milieux scientifiques ou académiques, et ne sont pas posées dans le débat médiatique. La dissidence publique est brimée ou dissimulée, si bien que faire semblant, dans les pays islamiques, est la forme canonique de la liberté d’expression à moindres frais. Il va sans dire que cette « duplicité » n’est pas propre à l’islam médiéval ou moderne, mais caractérise toutes les sociétés qui subissent des régimes politiques répressifs hostiles à la liberté d’expression.
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